Quelques Poèmes de Théodore Aubanel
LE CAPITAINE GREC | |
Un capitàni grè que pourtavo curasso, Dóu tèms de Barbo-rousso, es esta moun aujòu ; Cercant lis estramas, ébri dóu chaplachòu Dis armo, ferre au poung cridavo : Arrasso ! arrasso !... A grand galop, terrible, indoumtable, ferouge !... D'aqui vèn que, pèr fes, de sang moun vers es rouge : Tire d'éu moun amour di femo e dóu soulèu... |
Un capitaine grec qui portait cuirasse, du temps de Barberousse, a été mon aïeul ; grand chercheur d'aventures, s'enivrant du fracas des armes, fer au poing il criait : Gare devant !... Au grand galop, terrible, indomptable, farouche !.. De là vient que parfois mon vers de sang est rouge : je tire de lui mon amour des femmes et du soleil.. |
CHAMBRETTE, CHAMBRETTE... |
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Ah ! vaqui pamens la chambreto Ounte vivié la chatouneto ! Mai, aro, coume l'atrouva, Dins lis endré qu'a tant treva ? O mis iue, mi grands iue bevièire, Dins soun mirau regardas bèn : Mirau, mirau, fai-me la vèire, Tu que l'as visto tant souvènt... |
Ah ! voilà pourtant la chambrette où vivait la jeune fille ! mais, maintenant, comment la retrouver, dans les lieux qu'elle a tant hantés ? O mes yeux, mes grands yeux buveurs, dans son miroir regardez bien : miroir, miroir ! montre-la-moi, toi qui l'as vue si souvent... |
LE VENTOUX |
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Ventour espetaclous, nis d'aiglo e d'aubanèu, Toun front nus, à l'adré, blanquejo sout la nèu; A l'uba, la fourèst fai ta tèsto negrasso; Li loup trèvon ti draio ounte l'ome s'alasso,... |
Ventoux effrayant, nid d'aigles bruns et d'aigles blancs, ton front nu, au midi, est blanc sous la neige. Au nord, la forêt te fait une noire chevelure ! les loups hantent tes sentiers où l'homme s'essouffle... |
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Ma pauro amo la cresiéu morto ! Mai tu, mé toun sourire pur, Amigo, m'as dubert la porto Dóu bonur ! Sènso amour la vido es crudèlo, La vido es uno longo niue : Urous aquéu qu'a pèr estello Dous bèus iue !... |
Ma pauvre âme, je la croyais morte ! mais toi, avec ton sourire pur, amie, tu m'as ouvert la porte du bonheur ! Sans amour la vie est cruelle, la vie est une longue nuit : heureux celui qui a pour étoiles deux beaux yeux !.. |
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Souto lou grand cèu blanc, L'oundado negro Miraio, en barrulant, La luno alegro ! Dóu goutique Avignoun Palais e tourrihoun Fan de dentello Dins lis estello. Avignoun, grasiha, De l'escandiho, Tambèn de fes que i'a Lou jour soumiho ! Mai, s'acampo au soulèu Si gai felibre, lèu Es di cigalo La capitalo.... |
Sous le grand ciel blanc, le flot sombre reflète, en roulant, la lune joyeuse ! du gothique Avignon palais et tourelles font des dentelles dans les étoiles... Avignon, grillé de rayons, tout de même quelquefois, le jour, sommeille ! mais, s'il assemble au soleil ses gais felibres, vite il devient des cigales la capitale. |
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L'encèndi s'atubo au tremount. D'uno bataio de demoun Dirias de-fes lou tuert aurouge ; Dirias, dins li nivo espouti, Que de manescau fantasti Tabason sus lou soulèu rouge... Li fabre devènon negras, Lou martèu alasso li bras, Lou fum ennivoulis la flamo ; E lou soulèu encourroussa, De l'orre enclume cabussa, Se jito dins la mar que bramo. |
L'incendie s'allume au couchant. D'une bataille de démons on dirait parfois le choc orageux ; on dirait, dans les nuages en lambeaux, que des maréchaux fantastiques frappent sur le soleil rouge... Les forgerons deviennent noirs, le marteau fatigue les bras, la fumée enveloppe la flamme ; et le soleil en courroux, de l'horrible enclume renversée, se jette dans la mer qui hurle. |